Lettre ouverte aux gouvernements provinciaux

15 août 2002

Objet : UNE RESPONSABILITÉ PARTAGÉE : L’AVENIR DE LA RECHERCHE UNIVERSITAIRE AU CANADA (A SHARED RESPONSIBILITY: THE FUTURE OF UNIVERSITY RESEARCH IN CANADA), lettre ouverte aux provinces du Consortium canadien pour la recherche

Monsieur le Premier ministre,

Le Consortium canadien pour la recherche (CCR) est une coalition de représentation et de défense composée de chercheuses et chercheurs à l’avant-plan de la recherche tant dans le secteur public que privé. Il représente également les utilisateurs en aval de la recherche au sein du gouvernement, des entreprises privées et des établissements publics comme les écoles et les hôpitaux. Nous avons pour but de nous assurer que le Canada est un chef mondial dans tous les domaines de la recherche : en sciences biomédicales, en sciences naturelles, en sciences sociales et en sciences humaines. Le Consortium estime qu’une économie de recherche intensive procurera aux Canadiennes et Canadiens la meilleure qualité de vie et le niveau de vie le plus élevé possible. Il croit également que la réalisation de ce succès repose sur un système d’éducation postsecondaire accessible et de haute qualité et sur un secteur de recherche universitaire solide.

LA POLITIQUE PUBLIQUE

Le CCR est dans une position unique pour contribuer l’expérience des chercheuses et chercheurs au débat sur la politique publique. Dans l’exécution de cette tâche nous nous adressions habituellement au gouvernement fédéral. Alors que les paiements de transfert d’Ottawa destinés à l’éducation postsecondaire diminuaient, le Consortium a pris la défense de la cause des provinces, soutenant que l’excellence continue en matière d’éducation postsecondaire dépendait du maintien par le gouvernement fédéral de son engagement de longue date à porter une part du fardeau des coûts du système universitaire.

Malheureusement, nos démarches dans cette voie n’ont été couronnées que d’un succès limité. La position d’Ottawa était que le manque de responsabilisation provinciale en ce qui a trait à ces transferts est un élément dissuasif puissant au rétablissement des niveaux de financement. Pour les chercheuses et chercheurs à l’avant-plan, le conflit entre les deux paliers de gouvernement est source de préoccupation grave. Alors que les arguments juridictionnels se poursuivent, le système d’éducation postsecondaire au Canada s’enlise dans un état de délabrement croissant. Afin de renverser ce déclin le Consortium a décidé d’élargir ses efforts en établissant un contact non seulement avec le gouvernement fédéral, mais aussi avec les sièges des gouvernements provinciaux. Nous espérons que notre voix encouragera les deux paliers du gouvernement à accepter une responsabilité partagée pour la santé de l’éducation postsecondaire et à œuvrer ensemble dans l’intérêt de toutes les Canadiennes et de tous les Canadiens.

L’ÉDUCATION POSTSECONDAIRE – UN LIEN ESSENTIEL À LA RECHERCHE

Les universités sont l’armature de l’entreprise de la recherche canadienne. Deux tiers de tous les mémoires scientifiques publiés au Canada proviennent des universités et la majeure partie de la recherche de pointe du pays est effectuée par des professeures et professeurs d’université. C’est également aux universités que la prochaine génération de chercheuses et chercheurs se prépare à une carrière. Afin de poursuivre ce rôle crucial, il faut prêter une attention spéciale à trois éléments du système d’éducation postsecondaire. Les étudiantes et étudiants, qui sont l’avenir de la recherche, requièrent des frais de scolarité peu élevés et un appui généreux pour poursuivre des études aux cycles supérieurs et au niveau postdoctoral.

Pour ce qui est du personnel, les universités requièrent les ressources qui attireront et garderont les meilleurs cerveaux et permettront aux professeures et professeurs de faire le meilleur travail possible, tant au niveau de l’enseignement que de la recherche. Finalement, le succès des universités dépend aussi de la condition de l’infrastructure universitaire, c’est-à-dire les laboratoires, les bibliothèques et les établissements d’enseignement. Les bâtiments qui s’écroulent et les rayons vides ne favorisent pas la progression du savoir.

LES OBSTACLES AU SUCCÈS

Tous les gouvernements du Canada se sont prononcés énergiquement en faveur de l’importance de la recherche et de l’éducation. Cependant, ces propos sont vides. Le gouvernement fédéral a réduit considérablement les transferts aux provinces pour l’éducation postsecondaire, des réductions qui n’ont pas encore été rectifiées pour tenir compte de l’inflation et de l’accroissement de la population. Les provinces, à leur tour, ont diminué leurs propres dépenses destinées à l’éducation. La combinaison des compressions budgétaires par ces deux paliers de gouvernement provoque une crise au sein de la communauté de recherche canadienne.

LES DOSSIERS PROVINCIAUX

Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Les niveaux de financement provincial pour l’éducation postsecondaire, sur une base de dollars constants par personne, sont de 27 % inférieurs à ceux de 1992/1993. Les deux provinces canadiennes les plus riches, l’Ontario et l’Alberta, ont accusé les baisses les plus marquées. Il est intéressant de noter que deux des plus petites provinces canadiennes, la Saskatchewan et le Manitoba, sont parvenues de fait à augmenter les dépenses dans ce secteur.

LES IMPLICATIONS POUR LA RECHERCHE

Les dommages causés par ces compressions budgétaires se manifestent de plusieurs façons. Ces compressions budgétaires entraînent des frais de scolarité qui montent en flèche, provoquant à leur tour un accès réduit à l’éducation universitaire et à une dette d’études plus lourde au moment de la collation des grades. Des frais de scolarité et une dette d’études élevés sont un empêchement croissant d’accès égal à l’université pour la population canadienne et un élément dissuasif important pour les étudiantes et étudiants qui aimeraient poursuivre des études supérieures. La conséquence est une perte grave de la capacité de recherche du Canada.

Le financement réduit a aussi fait des ravages au niveau du corps professoral. Les universités ont moins de professeures et professeurs, ce qui a fait augmenter le nombre d’étudiantes et d’étudiants par classe et altère la qualité de l’interaction entre les étudiantes et étudiants et les professeures et professeurs.

Afin de faire face aux lacunes financières, l’administration des universités reporte l’entretien de l’infrastructure physique. Un rapport récent de l’Association canadienne du personnel administratif universitaire (ACPAU) estime à au moins 3,6 milliards de dollars l’entretien différé cumulatif dans les universités canadiennes. Avec le milieu d’apprentissage, de vie et de recherche qui se dégrade dans les campus, la capacité de recherche du Canada faiblit.

La crise financière a aussi compromis les bibliothèques universitaires. Des 111 principales bibliothèques de recherche aux États-Unis et au Canada seulement treize sont des établissements canadiens. Ce qui est encore plus troublant, de ces 111 bibliothèques seulement douze ont réduit leurs dépenses totales au cours de la dernière décennie et parmi ces douze, onze sont canadiennes.

ALLONS DE L’AVANT!

L’avenir du Canada dépend d’un secteur d’enseignement postsecondaire bien vivant. Jamais de l’histoire de ce pays cela se sera-t-il avéré plus important.

Le Consortium canadien pour la recherche conseille vivement aux deux instances supérieures de parvenir à des dispositions transparentes et responsables qui permettront le financement adéquat de nos universités si elles veulent relever les défis d’offrir une éducation universitaire accessible et une recherche universitaire de haute qualité. En l’absence de cette collaboration, les établissements d’enseignement canadiens continueront de lutter pour survivre.

Le CCR conseille vivement aux gouvernements provinciaux de réinvestir dans l’éducation postsecondaire à des niveaux qui la soutiendront adéquatement, maintenant et à l’avenir. Cet investissement doit revenir aux niveaux par personne de 1991-1992 puis être ajustés à la hausse, en dollars constants, pour tenir compte de l’inflation et de l’accroissement de la population.

Ottawa et les provinces doivent collaborer à la création de mécanismes de financement fédéral/provincial renouvelé pour l’éducation postsecondaire qui abordent les problèmes de suffisance, de responsabilité, de transparence et d’équité. La création et la mise en œuvre de ces mécanismes doivent être réalisées rapidement alors que nos universités sont aux prises avec les conditions actuelles. Les universités canadiennes sont essentielles à rehausser la croissance sociale et économique. Elles ont besoin de votre aide et ce, dès maintenant. Les Canadiennes et Canadiens de chaque province tiennent aux universités, à la recherche universitaire et à une éducation universitaire. Elles et ils veulent que leurs gouvernements passent à l’action.

Veuillez vous joindre à nous et à vos homologues du gouvernement afin d’assurer un secteur universitaire sain, productif et financé adéquatement qui aide le Canada à relever ses défis actuels et futurs. C’est ce que souhaitent les Canadiennes et Canadiens, pour eux-mêmes comme pour leurs enfants.

Veuillez agréer, Monsieur le Premier ministre, mes salutations distinguées,

Le président du conseil d’administration,

Paul Ledwell